Devoir de loyauté ou droit au silence ?

    Mr P. VAN GHELUWE

    L'article 69 al. 1er du Code de déontologie médicale précise que « le médecin qui comparaît comme inculpé devant le Conseil de l'Ordre ne peut invoquer le secret professionnel, il lui doit l'entière vérité… ».

    Bien qu'il n'ait pas à ce jour reçu force obligatoire, ce Code de déontologie constitue le recueil des usages professionnels et, comme tel, s'impose à tous les médecins.

    Nous nous attacherons brièvement à analyser les implications de cette obligation de sincérité qui déroge au droit commun.

    Dans notre système judiciaire, celui qui est accusé d'un acte délictueux est présumé innocent jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. Le médecin interpellé par les autorités judiciaires bénéficie évidemment de cette présomption d'innocence. Ici s'arrête le parallèle qui peut être tracé entre le droit commun et le droit ordinal.

    En effet, toute personne poursuivie devant une juridiction pénale a le droit d'organiser sa défense comme elle l'entend. Elle peut refuser de répondre aux questions qui lui sont posées et elle a même le droit au mensonge. Le « droit au silence » a été défini par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de New York du 19 décembre 1966 qui, en son article 14.3.g, stipule que « toute personne accusée d'une infraction pénale a droit à ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s'avouer coupable ». Il a été consacré par la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme. Le droit au silence prohibe l'audition sous serment d'un inculpé ou d'un prévenu, fût-ce à sa propre demande, dans le cadre de sa propre cause ou celle de toute autre personne qui serait ainsi contrainte de s'accuser.

    Il n'en est pas de même pour le médecin qui, invité à fournir des explications aux autorités ordinales, doit le faire avec loyauté et avec une franchise sans réserve.

    Remarquons d'emblée que le médecin interpellé par les autorités ordinales ne se verra jamais reprocher une infraction pénale (champ d'application de Pacte de New York), mais bien un éventuel manquement aux règles déontologiques, même si ce manquement peut en lui-même être constitutif d'infraction (par exemple : la commission d'un faux en écriture, d'une escroquerie ou la perpétration d'un meurtre). En ce cas, la juridiction pénale aura à connaître de l'infraction déclarée établie, tandis que les autorités ordinales ne sanctionneront que l'atteinte à l'honneur et à la dignité de la profession médicale.

    Le devoir de loyauté consacré par les usages implique que manquerait gravement à ses devoirs envers son Ordre, le médecin qui - interpellé par le Bureau ou questionné par une commission d'instruction - lui ferait des déclarations inexactes ou incomplètes pour l'induire en erreur. Il en serait de même s'il leur remettait un dossier incomplet.

    Le médecin, interrogé sur l'existence ou la non-existence de faits matériels, doit répondre avec une totale franchise aux autorités de l'Ordre, qu'il s'agisse du Président, du Bureau ou d'une commission instituée en vue d'enquêter sur les faits.

    Il serait léger de s'indigner de cette obligation de franchise imposée au médecin (tout comme à l'avocat du reste) : les règles déontologiques répondent à une finalité bien particulière. L'Ordre professionnel poursuit un but d'intérêt général, en l'espèce la protection des patients par l'exercice d'une médecine de qualité. Il organise en même temps les relations harmonieuses entre ses membres.

    La mission de l'Ordre ne peut être accomplie qu'au prix d'une telle obligation de loyauté. La justice ordinale, qui ne dispose d'aucun des pouvoirs du juge d'instruction (recours à des enquêteurs, droit de perquisition, techniques spéciales, police scientifique, etc.), ne peut s'exercer que sur la base des réponses du médecin interpellé, sur l'examen des pièces qui lui sont soumises et sur les déclarations éventuelles de témoins.

    Admettre le droit au mensonge du médecin, dans l'exercice de sa profession, aboutirait à ruiner toute sa crédibilité et celle de l'Ordre.

    La dignité de l'Ordre pouvant être mise en cause chaque fois qu'un de ses membres fait l'objet de poursuites judiciaires susceptibles de porter atteinte à son honneur, ce médecin est tenu d'en avertir au plus tôt le président de son Ordre provincial et de lui fournir les indications les plus complètes sur les circonstances de la cause.

    En aucune mesure le médecin ne pourra se retrancher derrière son secret professionnel pour refuser de répondre aux autorités ordinales. Celles-ci sont, en effet, les garantes du secret professionnel en même temps qu'elles sont tenues à pareil secret à l'égard des tiers.

    Monsieur Paul VAN GHELUWE, magistrat-assesseur suppléant, conseil provincial de l'Ordre des médecins de Bruxelles et du Brabant wallon.

    Avenue de Tervueren 417 - 1150 Bruxelles

    Tel 02 771 24 74 - Fax 02 772 40 61