Droit, déontologie, morale et éthique

    Dr R. GUEIBE

    Le droit, la déontologie qui en découle, la morale de chacun et l'éthique constituent des champs de valeurs qui se rapprochent, se séparent, se recouvrent et s'opposent en chacun de nous. D'où sans doute la confusion qui est fréquente entre ces différents référents de valeurs dans le chef de nos concitoyens en général comme dans la pensée de nos confrères et collègues en particulier.

    Ainsi, beaucoup de médecins estiment que leur déontologie les place au-dessus des lois, alors qu'elle n'est qu'une simple déclinaison de la loi ! De même, il y a de fréquentes confusions entre la morale personnelle et le champ éthique de la réflexion qui sied à notre pratique de soignant.

    Il convient donc d'analyser ce que recouvrent exactement le droit, la déontologie, la morale et l'éthique, pour ensuite les mettre en lien, et ce, dans la perspective toute particulière du soin ou mieux du « prendre soin », cet acte particulier qui qualifie ainsi toutes les professions qui tentent d'aider les personnes à préserver ou à entretenir ce qu'elles considèrent comme leur « bonne santé ».

    Le droit

    Quel est le sens du droit qui se concrétise dans nos lois sinon, tout simplement, de nous permettre de vivre ensemble ! Ainsi, le droit concrétise des principes fondamentaux dont le « tu ne tueras point » qui permet à la race humaine de survivre. Mais de manière plus terre à terre, le droit détermine des règles « de bonne conduite ».

    Ainsi, l'automobiliste est heureux de vivre dans un pays qui impose un code de la route. Accepteriez-vous de courir le risque de rouler en voiture dans un pays où le sens de la conduite est laissé à l'appréciation de chacun ?

    Il y a donc bien dans le droit un aspect organisationnel qui est indispensable. Mais il est également important de constater que le droit renferme déjà en lui-même un aspect philosophique ou moral. Il traduit en effet dans ses lois des valeurs culturelles du moment. L'exemple le plus caricatural est le droit de vote accordé aux femmes au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Durant longtemps, il fut admis dans notre culture, parmi la population, que la femme était trop vulnérable au niveau émotionnel pour lui permettre de participer à la gestion de la chose publique. Pensez donc, en fonction de son cycle hormonal – qui a toujours intrigué les hommes… ! – la femme pourrait ainsi voter pour la gauche lors de ses règles et pour la droite lors de l'ovulation. Ce thème fut longtemps développé… par des médecins eux-mêmes, hommes bien évidemment. Il a donc fallu un changement de valeurs au sein de la culture pour modifier la loi et attribuer enfin un droit de vote aux femmes.

    Ainsi en est-il aussi pour l'accession de nos adolescents à la majorité. Celle-ci est passée de 21 ans à 18 ans. De même, à la liberté pour eux d'avoir ou non des rapports sexuels.

    Au travers des lois promulguées dans un pays, on peut donc saisir sa culture voire sa morale. Pensons ainsi à ces pays où la femme adultère est lapidée, ou un enfant est emmené menotté parce qu'il a joué « à touche pipi ». Pensons aussi à ces cultures pourtant évoluées qui appliquent les sentences de mort. C'est dans ses lois qu'on reconnaît la véritable nature morale d'un pays.

    Qui fait les lois ? Le législateur certes qui est en réalité l'émanation du peuple, du moins dans les pays de saine démocratie. C'est le peuple qui peut faire évoluer les lois, les modifier, les abroger au travers de ses représentants.

    Qui veille à l'application des lois ?

    C'est l'appareil judiciaire. Les juges ne font ni ne défont les lois. Ils veillent à leur application. Pourtant les juges – et c'est là une qualité qui mérite tout notre respect – pourraient eux aussi participer aux modifications de lois. Ainsi en est-il pour la jurisprudence c'est-à-dire l'interprétation qu'un juge fait de la loi, dans les circonstances concrètes de son jugement. La jurisprudence ainsi rassemblée modifie l'application de la loi, voire l'essence même de la loi. La « suspension du prononcé » consistant à dire qu'il y a bien eu une faute par rapport à la loi mais que le tribunal ne prononce pas de peine, cette suspension du prononcé est souvent le témoignage d'un malaise de la justice face à une loi ressentie comme obsolète, c'est-à-dire en inadéquation avec l'air du temps, l'évolution culturelle ou la morale de la société.

    Le droit qui se traduit dans les lois n'est donc pas quelque chose qui nous est venu de nulle part. Il est bien l'émanation de notre culture.

    Le droit n'est pas figé, il n'est pas immuable, il n'est pas éternel. Il représente un ensemble de valeurs momentanées et, dès lors, peut évoluer en même temps que changent ces valeurs, témoins de notre culture.

    Peut-on transgresser volontairement la loi ?

    Si l'on veut mais alors il convient d'accepter d'en rendre compte à la société qui a promulgué cette loi et de subir les conséquences de cet acte de transgression. Transgresser la loi n'est donc pas un conseil à donner ! Et pourtant, nous connaissons dans l'histoire des personnes qui ont eu l'audace de provoquer la justice et, au travers d'elle, la société, pour obtenir un changement des lois. Cela s'est fait souvent dans la légalité. Tel est l'exemple de Marie POPPELIN qui, au 19ème siècle, après avoir perdu son procès en première instance et en appel, s'était vu refuser le droit d'être avocat(e) et qui finira par le devenir au terme de son combat. Parfois c'est au prix de lourds sacrifices, voire de leur vie, que des gens vont parvenir à modifier la loi : « le premier qui dit la vérité, d'abord on le tue puis on s'habitue » chante Guy Béart.

    En Belgique, la modification de la loi concernant l'avortement repose, me semble-t-il, sur l'insistance d'un groupe d'hommes et de femmes qui ont osé revendiquer l'acte de l'avortement alors que la loi l'interdisait. Certains se sont retrouvés brièvement en prison. La détermination des parquets à revendiquer l'application ferme de la loi à ce moment-là a peut-être stimulé le courage des politiciens qui ont alors décidé de modifier la loi.

    La déontologie

    Contrairement à ce que pensent encore beaucoup de nos confrères et collègues, la déontologie, d'une manière générale, n'est que l'application de la loi dans sa déclinaison pratique au quotidien. Certaines professions sont régies par les lois. Ainsi en est-il pour la profession médicale. La loi énumère alors des principes généraux, des principes fondamentaux.

    Ainsi, pour ne pas être poursuivi pour « coups et blessures volontaires » ayant parfois entraîné la mort (involontairement !), le médecin doit avoir suivi une formation dans une université, avoir un visa ministériel, doit être inscrit et cotiser à l'Ordre des médecins et (principe que l'on oublie parfois !) doit avoir obtenu le consentement du patient aux soins qu'il lui procure. Le consentement aux soins vient d'ailleurs d'être rappelé avec force dans la loi concernant les droits des patients. La loi précise quelques grandes lignes directrices et invite alors les professionnels à établir entre eux les règles de fonctionnement qui permettront de respecter ces principes édictés dans la loi. Je m'abstiendrai ici de polémiquer sur l'absence des arrêtés royaux permettant la création officielle de l'Ordre des médecins.

    Le code de déontologie existe aussi dans d'autres professions. Il veille donc en premier lieu à appliquer les principes édictés par la loi. Ainsi en est-il, par exemple, du principe majeur du secret professionnel.

    La déontologie précise aussi l'art pour ses membres de travailler ensemble, dans un respect mutuel. Aussi c'est notre code déontologique qui nous interdit de détourner les patients de confrères que nous remplaçons. C'est lui aussi qui nous enjoint de ne pas dire du mal de la pratique d'un confrère. Cet aspect particulier à notre déontologie est parfois mal perçu par la population qui affirme alors de manière péremptoire que, et cela est bien connu, « les loups ne se mangent pas entre eux ». Les patients prennent alors pour preuve le suivi de leurs plaintes, suivi qu'ils comprennent difficilement.

    Enfin, la déontologie, comme la loi, comporte aussi en elle un aspect moral – qui fait d'ailleurs toute sa noblesse à mes yeux. Ainsi en est-il concernant les règles limitant le montant des honoraires que l'on peut percevoir : ceux-ci doivent rester décents !

    En général, on peut admettre que notre pratique médicale s'insère sans problème dans la loi et la déontologie. Mais il arrive que des situations particulières nous amènent à ne pas trouver dans la loi et donc dans la déontologie une réponse claire et sans équivoque à un problème qui surgit dans notre pratique au quotidien. Car nous sommes peut-être là confrontés à notre morale et il conviendra alors que se tienne un débat éthique.

    La morale

    Je définis la morale comme étant les règles et les valeurs que je m'impose en fonction de la recherche d'un sens à mon existence.

    Aussi, et d'une manière quelque peu simplifiée, on peut ramener cette quête et ses exigences en deux grandes familles. Soit la personne estime que la vie est donnée à l'homme par un principe supérieur, souvent un ou des dieu(x). Cela inclut toujours une existence après la mort, soit de la personne dans son intégralité corps et « âme », soit dans son « esprit » seulement, soit encore sous une réincarnation dans une autre vie – humaine ou non humaine. On peut alors qualifier de « religieuse » cette reconnaissance d'un principe supérieur et l'existence d'une forme de vie dans l'au-delà.

    Soit la personne ne reconnaît aucun principe supérieur à l'origine de sa vie et souvent estime qu'il n'y a ni vie ni autre forme d'existence pour elle après la mort. On peut qualifier de « laïque » cette compréhension de la vie.

    Le sens que l'on donne à sa vie est un choix qui sera d'autant plus respectable qu'il a été fait en toute liberté de pensée. D'une manière générale, chaque être humain a dû un jour réfléchir au sens qu'il donne à son existence. Il a peut-être fait ce choix avec plus ou moins de conviction, avec des moments de doute aussi. En faisant ce choix, il opte ainsi pour un référent de valeurs.

    Dans ces valeurs se trouvent entre autres choses la façon dont il va « appréhender l'autre » soit comme lui-même fils ou fille d'un dieu, soit comme lui participant tout simplement à cette curieuse expérience qu'est la vie, par hasard. Ces différents référents de valeurs sont respectables.

    Cette adhésion à un référent de valeurs peut consister en des certitudes que la personne n'imagine pas remettre en question, ou à l'opposé des valeurs que la personne a identifiées comme lui étant propres, nécessaires à sa vision du monde mais pas du tout universelles ou éternelles.

    Il faut aussi constater que durant de longues périodes de notre histoire, la culture propre a généré une même morale, de référence religieuse. Puis est apparue une deuxième morale que nous appelons « la pensée laïque » qui s'est développée notamment durant le siècle des « Lumières ». Mais force est de constater qu'actuellement dans notre pays en particulier, nous assistons à une éclosion de morales diverses avec des référents de valeurs que nous connaissons mal. En particulier, la Belgique, de par sa place dans l'Europe, héberge des références morales bien diverses. C'est ce qui était mentionné en guise d'introduction à cette remarquable exposition qui s'est tenue à Bruxelles début de cette année, « Dieu(x), mode d'emploi. » (1)

    En tant que simple citoyen ayant des référents moraux – des convictions plus ou moins fermes – personnels, je pourrais être confronté à d'autres référents moraux qui m'interpellent, me bousculent, me heurtent et me perturbent. Avant d'être soignant, je suis en effet citoyen dans une culture avec des référents moraux personnels.

    Comme soignant, que vais-je faire de mes principes moraux face à un patient ayant d'autres références de valeurs. Ma morale pourrait-elle être présente dans mes actes de soins ? Bien évidemment ! Pensons simplement à la façon dont un médecin va écouter diverses demandes des patients : la sexualité, les demandes d'euthanasie, les demandes d'avortement, les refus des soins, le syndrome de glissement de la personne âgée, etc. Son positionnement face à ces situations pourrait témoigner de ses références morales. Si la loi n'oblige personne à poser un acte contraire à ses convictions, nous pouvons demander au soignant d'être au clair sur l'origine de son positionnement et qu'il puisse en rendre compte comme positionnement moral personnel et non comme principe général lié à une bonne pratique, telle que mentionnée dans notre déontologie. Il se pourrait même que le soignant accepte consciemment de se faire violence en transgressant un principe moral qui lui est cher au nom d'une valeur qu'il verrait comme supérieure et qu'il a élaborée dans une réflexion qui est alors du niveau de l'éthique.

    L'éthique

    Il convient de préciser que nous parlerons ici de l'éthique clinique, c'est-à-dire de la réflexion qui se passe au chevet du patient et qui intéresse donc les soignants qui s'occupent à ce moment-là de ce patient-là, soignants qui connaissent alors un malaise : que sommes-nous en train de faire avec ce patient, ici et maintenant ?

    Nous distinguons donc bien l'éthique clinique et de la bioéthique qui concerne plus les débats de société à propos de la vie, de la mort et de la santé en général.

    Qu'il me soit permis ici de citer ce qui me semble être une excellente définition de la « préoccupation d'éthique clinique » telle qu'elle a été donnée par le Docteur Loreta ROCHETTI, médecin généraliste pratiquant à Trento (Italie) lors d'un SIEC (2) . « Une préoccupation d'éthique clinique apparaît habituellement dans une situation d'incertitude appelant une décision professionnelle pouvant modifier l'histoire d'un individu sans que l'on puisse prévoir de façon raisonnablement assurée les conséquences positives ou négatives de cette décision ».

    L'éthique clinique n'est donc pas un « code » mais un « instant » particulier sur le chemin professionnel des soignants. Un comité d'éthique n'est donc pas là pour rédiger un « code éthique », pour élaborer des règles qui seraient imposées à l'ensemble des médecins d'une institution, de même à l'ensemble des autres soignants (3) (3). Le comité d'éthique est présent parmi les soignants pour rappeler son exigence de la réflexion face à des situations singulières qui demandent une prise de décision tout aussi singulière. L'éthique est donc bien un « instant » dans la vie des soignants.

    L'émergence du débat éthique date grosso modo des années 1950. Divers événements participeront à cette émergence. L'instrumentalisation de l'homme par les médecins nazis a amené la rédaction des premières lignes de conduite à tenir dans le cadre des expérimentations cliniques humaines. Le développement fulgurant des techno-sciences a généré le débat sur les possibles traitements sans fin de l'homme, dérive de l'acharnement thérapeutique. Quelques cas de patients vont alimenter un large débat clinique (Karen Ann QUINLAN aux Etats-Unis, par exemple). Mais les principes mêmes de l'éthique clinique s'imposeront dans la mouvance des soins palliatifs. Le concept d'autonomie s'imposera qui consiste à reconnaître que le patient et lui seul sait ce qui est bon et bien pour lui. Les notions de « bienveillance » dans l'acte de soin ou encore de « moindre mal » baliseront rapidement le champ des soins. Ce nouveau paradigme accorde une place prépondérante au patient qui occupe alors la place centrale dans le processus de soins, peut-être au détriment des soignants et plus précisément du médecin qui n'a plus à imposer son savoir mais qui doit maintenant informer, éclairer, conseiller et s'aligner sur la demande du patient. Le médecin n'est plus seul à « gérer » le patient, il est entouré d'une équipe de soignants à domicile comme à l'hôpital. Et les membres de l'équipe participent aussi activement au « prendre soin » du patient.

    Dans sa requête qu'il adresse au médecin, le patient fait valoir sa propre référence morale qui n'est peut-être pas celle du médecin. Et il est devenu rare de rencontrer une équipe de soignants qui partage une même et unique référence morale.

    Le débat éthique s'inscrit, doit toujours s'inscrire dans la loi et la déontologie. Ce débat pourrait perturber le soignant dans sa morale. Ainsi, le patient pourrait considérer que dans sa vie comme « simple humain », il lui appartient de respecter des valeurs qui lui sont propres mais que comme soignant, face à ce patient-là et à ce moment-ci, il pourrait accepter de transgresser ses valeurs propres au terme d'une réflexion éthique l'amenant à considérer que l'acte qu'il va poser, bien que contraire à sa morale, constitue le moindre mal pour le patient.

    L'éthique pourrait amener un soignant à malmener sa morale personnelle mais ce n'est pas une obligation. En quelque sorte, une personne, dans son acte de soignant, accepte de se faire violence dans sa morale parce qu'il estime que sa position de soignant l'y oblige. Dans l'absolu, il n'existe pas de « bonne » ou « mauvaise » décision éthique. Il se présente simplement des décisions qui tendent à opérer « un moindre mal » pour le patient.

    La décision éthique repose sur une réflexion ayant à intégrer des arguments qui seront en phase ou en opposition avec la morale personnelle du médecin et des autres soignants quand la discussion a lieu en équipe.

    La décision étant prise, il convient d'en « rendre compte », si nécessaire, à soi-même, à l'équipe, au patient, à sa famille et pourquoi pas aux autres citoyens si telle est l'exigence contenue dans une loi, par exemple (Cf. à la loi dépénalisant l'euthanasie, analysée plus loin).

    L'acceptation du « rendre compte » à d'autres personnes, soignants ou non soignants, confirme la validité de la décision prise au terme du débat éthique. Ne pas pouvoir, ne pas vouloir « rendre compte » d'une décision éthique est la signature d'un malaise, d'une dissimulation d'un malaise, c'est-à-dire d'une situation non éthique !

    Une déclinaison exemplaire : la demande d'euthanasie

    Jusqu'à l'an 2002, la loi poursuivait le crime d'euthanasie. Notre déontologie interdisait de poser l'acte d'euthanasie. Une partie de la société se sentant mal à l'aise avec cette interdiction, un débat fut proposé à notre société. Ce débat fut, à mes yeux, remarquable dans le sens qu'il permit à toutes les couches de la société de s'exprimer et, dès lors, d'être entendues.

    La loi fut donc modifiée et promulguée, dépénalisant l'euthanasie. Un groupe de médecins fit savoir rapidement qu'il ne pourrait appliquer cette loi, leur code de déontologie leur interdisant la pratique de l'acte de mort. L'Ordre national des médecins fit savoir tout aussi vite que notre code de déontologie serait modifié pour se mettre en accord avec la loi.

    Doit-on dire qu'ainsi une modification importante du contexte même du soin fut imposée aux médecins ? Non ! Car des médecins ont aussi participé au débat, non comme simples citoyens mais bien comme médecins qui mettaient en doute un paradigme qui anime la pratique médicale depuis toujours, c'est-à-dire depuis qu'Hippocrate a écrit le serment. Le médecin, depuis toujours, proclame qu'il est fait pour la vie, pour entretenir la vie, pour la vie parfois à tout prix. Et cette certitude, durant longtemps, était soutenue par la morale personnelle qui était alors religieuse, comme nous l'avons vu.

    Certains médecins, devant les prodigieuses victoires de la science qui pouvait entretenir la vie à n'en plus finir, se posèrent cette simple question : et si le médecin était, comme d'autres soignants d'ailleurs, destiné à calmer la souffrance… à tout prix ? Ce nouveau paradigme modifie le regard du médecin sur sa propre pratique et entre ainsi en résonance avec le concept d'autonomie reconnue au patient.

    Certains médecins furent vite à l'aise avec cette nouvelle vision du sens de la pratique médicale parce elle était en accord avec leur morale personnelle, souvent laïque. Mais certains médecins de morale religieuse reconnaissaient alors que, dans leur pratique et face à la demande d'un patient, ils accepteraient de transgresser leurs valeurs personnelles, et ce, dans le cadre d'une réflexion éminemment éthique. Mais ils savent qu'ils ne sont pas du tout obligés de se faire cette violence.

    La loi précise que le médecin doit informer de suite le patient demandeur d'euthanasie de sa possibilité d'y répondre ou non, même si la demande est formulée correctement dans le cadre strict de la loi. Le médecin peut simplement justifier son refus par sa référence à ses valeurs personnelles – et non à des valeurs liées à la seule bonne pratique médicale. Il s'agit-là d'une nuance importante qui doit être explicitée au patient. En effet, si le médecin belge peut effectivement poser un acte d'euthanasie, l'homme, la femme qu'il/elle est peut se l'interdire en fonction de sa morale personnelle.

    La loi dépénalisant l'acte d'euthanasie précise son exigence quant au « rendre compte » de l'acte posé. Il convient pour le ou les médecin(s) concerné(s) d'informer la commission ad hoc du respect des conditions légales mais aussi de ce qui fut « autour et alentour » de la décision. Malheureusement, il semble que ce « rendre compte » ne soit pas encore une aisance pour certains confrères, ce que l'on ne peut que regretter dans le cadre d'une position éthique.

    Conclusion

    L'instant éthique est devenu une réalité dans la pratique médicale. Certes, elle est occasionnelle mais elle permet alors de rassembler les soignants de pratiques différentes (médecins, infirmières, kinésithérapeutes, assistants sociaux, etc.) et ouvre un débat dont le cœur même est occupé par le patient.

    Il me semble qu'à l'avenir, les capacités personnelles du médecin à s'ouvrir au débat éthique seront ses véritables lettres de noblesse.

    Docteur Raymond GUEIBE, Psychiatre de Liaison à la Clinique Saint-Pierre d'Ottignies, Formateur de l'Institut « Perspectives Soignantes » de Paris.

     

    (1) Exposition qui se tint sur le site de Tours et Taxis. Directeur du comité scientifique : Eli BARNAVI.

    (2) Le Séminaire International d'Ethique Clinique a été fondé en 1994 par le Prof Jean-François MALHERBE et par le Dr Raymond GUEIBE. Durant 8 ans, il a rassemblé annuellement des soignants, philosophes, éthiciens, sociologues, psychologues qui avaient en commun une volonté de partager leur expérience d'éthique clinique.

    (3) Voir l'article de l'auteur "L'éthique dans l'institution de soins : sois éthique et tais-toi !" - In "Ethica Clinica", n° 36, décembre 2004.

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