Le secret professionnel médical

    Dr M. STAROUKINE

    En prononçant le serment d'Hippocrate, « au moment d'être admis au nombre des membres de la profession médicale », le médecin s'engage à « respecter le secret de celui qui se sera confié à lui, même après sa mort ».

    Comme le dit Portes : « Il n'y a pas de médecin sans confiance, pas de confiance sans confidence, pas de confidence sans secret ».

    I. Fondement

    D'une manière générale, l'existence du secret professionnel se justifie par la notion de confiance nécessaire.

    Il ne faut pas que, par crainte d'indiscrétion, les patients renoncent à des soins indispensables. Intérêt social et intérêt personnel du malade sont donc normalement convergents.

    Destiné à protéger les intérêts de la société résultant des rapports entre médecins et malades, et non pas seulement les intérêts particuliers du malade, le secret médical est d'ordre public et sa violation est sanctionnée pénalement.

    Le principe du secret professionnel médical apparaît déjà dans le serment d'Hippocrate.

    Le Code de déontologie médicale comporte des directives précises en la matière et le Guide européen d'éthique médicale, adopté à Paris le 6 janvier 1987, consacre trois articles à ce problème.

    L'article 458 du Code pénal constitue le cadre légal du secret professionnel en matière de soins de santé. (Art. 458 du Code pénal : « Les médecins, chirurgiens, officiers de santé, pharmaciens, sages-femmes et toutes autres personnes dépositaires, par état ou par profession, des secrets qu'on leur confie, qui, hors le cas où ils sont appelés à rendre témoignage en justice (ou devant une commission d'enquête parlementaire) et celui où la loi les oblige à faire connaître ces secrets, les auront révélés, seront punis d'un emprisonnement de huit jours à six mois et d'une amende de cent euros à cinq cents euros. »).

    II. Etendue

    1. Contenu

    Le Code de déontologie donne une description précise et complète du secret professionnel médical (articles 56 et 57).

    Le secret médical s'étend à tout ce que le médecin a vu, connu, appris, constaté, découvert ou surpris dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de sa profession.

    Par conséquent, le secret médical couvre non seulement les secrets confiés au médecin par le patient, mais également ceux qu'il découvre ou connaît à la suite d'examens ou d'investigations auxquels il procède ou fait procéder.

    A cet égard, il convient de remarquer qu'en matière de secret professionnel, il ne peut et ne doit y avoir de distinction entre les éléments que l'on considérerait comme étant importants ou anodins. Par ailleurs, ce qui est de notoriété publique relève aussi de l'obligation au silence.

    2. Personne

    Suivant une doctrine et une jurisprudence constantes, l'article 458 du Code pénal a une portée générale et absolue et s'applique indistinctement à toute personne qui assume une fonction de confiance, à tous ceux qui en vertu de la loi, de la tradition ou de l'usage, sont nécessairement dépositaires des secrets qu'on leur confie.

    Il ne fait aucun doute que l'article 458 du Code pénal s'applique au médecin traitant. Le médecin qui donne les premiers soins à la victime d'un accident et le médecin qui ne traite le patient qu'occasionnellement doivent aussi être considérés comme étant le médecin traitant du patient.

    Les infirmiers(ères), les kinésithérapeutes et tout membre du personnel, qui assistent le médecin, sont aussi tenus au secret; conformément à l'article 70 du Code de déontologie médicale, le médecin doit veiller à ce que ses auxiliaires respectent les impératifs du secret médical.

    III. Règles de base

    1. Principe

    En principe, l'obligation au silence s'applique à tout ce qui relève du secret professionnel.

    La déclaration du patient relevant son médecin du secret professionnel ne suffit pas à libérer le médecin de son obligation. La mort du malade ne délie pas le médecin de son obligation au silence et les héritiers ne peuvent le délier ou en disposer (art. 64 et 65 du Code de déontologie).

    2. Exceptions

    Les exceptions au secret médical sont au nombre de trois :

    • le témoignage en justice;
    • les autres exceptions légales;
    • le droit de la défense.

     

    a) le témoignage en justice

    Le témoignage en justice est une déclaration sous la foi du serment devant le juge civil, le juge pénal ou le juge d'instruction.

    Le médecin appelé à témoigner en justice décide en conscience s'il parlera ou non. Il s'agit du droit au silence du dépositaire du secret (art. 63 du Code de déontologie).

    Le médecin qui fait l'objet d'une citation est obligé de comparaître et de prêter serment, mais il lui est ensuite loisible de parler ou de se taire.

    Il appartient cependant au juge d'apprécier, sur la base des données connues, si le secret professionnel invoqué par le médecin n'est pas détourné de son but. Le pouvoir d'appréciation du médecin n'existe que s'il y a une possibilité que la révélation du secret puisse porter préjudice au patient lui-même; son choix, qui s'exerce sous le contrôle du juge, ne peut donc être arbitraire. Le secret médical ne peut se transformer en bouclier permettant au médecin d'échapper à ses responsabilités professionnelles.

    Remarque : seul un juge peut recevoir le témoignage, à savoir : le juge civil, le juge pénal ou le juge d'instruction.

    Une déclaration aux membres de la police à propos de faits qui relèvent du secret professionnel ne peut être considérée comme étant un témoignage en justice. Une telle déclaration peut avoir des conséquences déontologiques et pénales.

    b) autres exceptions légales

    L'article 58 du Code de déontologie médicale vise entre autres :

    • la communication dans le cadre de la législation sur l'Assurance Maladie-Invalidité, aux médecins-inspecteurs du service du contrôle de l'INAMI, des seuls renseignements nécessaires à l'exercice de leur mission de contrôle dans les limites strictes de celle-ci;
    • la communication aux médecins-conseils des organismes assureurs agréés et dans les limites de la consultation médico-sociale, de données ou de renseignements médicaux relatifs à l'assuré;
    • la déclaration aux inspecteurs d'hygiène des maladies transmissibles épidémiques, suivant les modalités et conditions prévues par la législation en la matière;
    • l'envoi à l'inspecteur d'hygiène, de rapports concernant les maladies vénériennes en application de la législation relative à la prophylaxie de ces maladies;
    • la déclaration à l'officier de l'état civil de la naissance à laquelle le médecin a assisté et qui n'aurait pas été déclarée par d'autres;
    • la délivrance de certificats médicaux réglementaires en vue de permettre les déclarations d'accidents de travail et contenant toutes les indications en rapport direct avec le traumatisme causal. Le législateur a prévu pour cette déclaration un formulaire type auquel il est obligatoire de se conformer;
    • la délivrance de certificats médicaux en exécution des prescriptions légales relatives à la protection des malades mentaux et des biens des personnes incapables d'en assurer la gestion;
    • le certificat de décès;
    • le certificat attestant une maladie professionnelle;
    • la délivrance de certificats médicaux en exécution des prescriptions légales relatives aux contrats d'assurance terrestre.

    L'énumération des exceptions légales faite par l'article 58 du Code de déontologie médicale n'est pas exhaustive.

    A titre indicatif, la loi sur les droits du patient du 22 août 2002, lorsqu'elle prévoit que le patient peut exercer son droit de consultation de son dossier médical par l'intermédiaire d'une personne de confiance, crée une exception au secret médical à l'égard de cette personne.

    Il est important de souligner que l'article 58 du Code de déontologie énonce que le médecin apprécie en conscience, dans les cas énumérés, si le secret médical l'oblige néanmoins à ne pas communiquer certains renseignements.

    Les exceptions énumérées ci-dessus n'enlèvent nullement au secret médical son caractère d'ordre public. Elles confirment tout au plus que la notion d'ordre public n'est pas une notion statique mais évolutive et qu'elle peut donc varier au cours des temps.

    C'est ainsi que, sous la pression des réalités sociales, des dispositions légales sont venues imposer aux médecins la révélation de certains faits qu'ils avaient constatés, le législateur établissant une gradation entre deux valeurs d'ordre essentiel pour la vie en société et faisant primer l'une sur l'autre, sans pour autant en changer la nature.

    Que le secret médical soit d'ordre public ne signifie pas qu'il soit ou puisse être considéré comme absolu. En effet, une valeur est d'ordre public lorsqu'elle touche à une base de la société démocratique – tel que, par exemple, le respect de la personne humaine, de son intimité et de son droit à une vie privée – à un point tel qu'elle ne supporte pas de dérogation, sauf celles prévues par la loi en raison d'intérêts généraux supérieurs.

    c) droit de la défense

    Les droits de la défense permettent au médecin de produire, lorsqu'il est inculpé, des documents couverts par le secret médical et de nature à le disculper.

    Le principe général du droit de la défense prévaut, dans pareil cas, sur l'obligation au silence.

    Le médecin peut invoquer tous les éléments qu'il estime utiles à sa défense, sans enfreindre son secret professionnel.

    Il est évident que ceci vise uniquement les cas dans lesquels le médecin ne peut se défendre qu'en rompant l'obligation au silence.

    d) cas particuliers

    En application de l'article 30 du Code de déontologie médicale, quand le patient est un mineur d'âge et qu'il est impossible ou inopportun de recueillir le consentement de son représentant légal, le médecin doit lui prodiguer les soins adéquats que lui dictera sa conscience.

    En ce qui concerne les mineurs incapables de discernement, il est admis que le médecin n'est pas tenu au secret professionnel vis-à-vis de leurs parents ou représentants légaux. En ce qui concerne les mineurs capables de discernement, il faut poser en principe que le médecin est tenu au secret vis-à-vis des parents. La notion de discernement n'est définie par aucun texte légal et elle doit, dès lors, être appréciée dans chaque cas d'espèce en fonction d'éléments de fait, tels que l'âge et la maturité de l'enfant, la nature de l'acte posé...

    Si un médecin soupçonne qu'un enfant est maltraité, est abusé sexuellement ou subit des effets graves d'une négligence, l'article 61 du Code de déontologie prévoit qu'il doit opter pour une approche pluridisciplinaire de la situation, par exemple en faisant appel à une structure conçue spécifiquement pour gérer cette problématique.

    Lorsqu'un médecin constate qu'un enfant est en danger grave, il doit sans délai prendre les mesures nécessaires pour le protéger.

    Si ce danger est imminent et s'il n'y a pas d'autre moyen pour protéger l'enfant, le médecin peut communiquer ses constatations au procureur du Roi.

    Les parents ou le tuteur de l'enfant seront informés des constatations du médecin et des initiatives que celui-ci compte prendre, sauf si cette information peut nuire à l'intérêt de l'enfant.

    Avant de prendre toute initiative, le médecin doit en parler au préalable avec l'enfant dans la mesure où les capacités de discernement de celui-ci le permettent.

    L'article 61 §2 du Code de déontologie prévoit également que lorsqu'un médecin soupçonne qu'un patient incapable de se défendre en raison d'une maladie, d'un handicap, ou de son âge, est maltraité, exploité ou subit des effets graves d'une négligence, il parlera de ses constatations avec le patient si les capacités de discernement de celui-ci le permettent. Le médecin incitera le patient à prendre lui-même les initiatives nécessaires, notamment à informer ses proches parents.

    Si cette discussion avec le patient s'avère impossible, le médecin traitant peut se concerter avec un confrère compétent en la matière à propos du diagnostic et de la suite à apporter à la situation.

    Si le patient est en danger grave et s'il n'y a pas d'autre moyen pour le protéger, le médecin peut avertir le procureur du Roi de ses constatations.

    Le médecin informera les proches du patient de ses constatations et des initiatives qu'il compte prendre pour le protéger, si cela ne nuit pas aux intérêts du patient.

    Ces articles du Code de déontologie font écho aux articles 422bis et 458bis du Code pénal.

    422bis du Code pénal : « Sera puni d'un emprisonnement de huit jours à (un an) et d'une amende de cinquante à cinq cents euros ou d'une de ces peines seulement, celui qui s'abstient de venir en aide ou de procurer une aide à une personne exposée à un péril grave, soit qu'il ait constaté par lui-même la situation de cette personne, soit que cette situation lui soit décrite par ceux qui sollicitent son intervention.

    Le délit requiert que l'abstenant pouvait intervenir sans danger sérieux pour lui-même ou pour autrui. Lorsqu'il n'a pas constaté personnellement le péril auquel se trouvait exposée la personne à assister, l'abstenant ne pourra être puni lorsque les circonstances dans lesquelles il a été invité à intervenir pouvaient lui faire croire au manque de sérieux de l'appel ou à l'existence de risques. »

    458bis : « Toute personne qui, par état ou par profession, est dépositaire de secrets et a de ce fait connaissance d'une infraction prévue aux articles 372 à 377, 392 à 394, 396 à 405ter, 409, 423, 425 et 426, qui a été commise sur un mineur, peut, sans préjudice des obligations que lui impose l'article 422bis, en informer le procureur du Roi, à condition qu'elle ait examiné la victime ou recueilli les confidences de celle-ci, qu'il existe un danger grave et imminent pour l'intégrité mentale ou physique de l'intéressé et qu'elle ne soit pas en mesure, elle-même ou avec l'aide de tiers, de protéger cette intégrité. »

    e) les certificats médicaux

    Art. 67 du Code de déontologie médicale :

    « Le médecin a le droit mais non l'obligation de remettre directement au patient qui le lui demande un certificat concernant son état de santé. Le médecin est fondé à refuser la délivrance d'un certificat. Il est seul habilité à décider de son contenu et de l'opportunité de le remettre au patient. Lorsque le certificat est demandé par le patient dans le but de lui permettre d'obtenir des avantages sociaux, le médecin est autorisé à le lui délivrer en faisant preuve de prudence et de discrétion dans sa rédaction ou éventuellement à le transmettre, avec son accord ou celui de ses proches, directement au médecin de l'organisme dont dépend l'obtention des avantages sociaux. »

    Le consentement du patient ne constituant un motif valable que dans la mesure où il a été donné librement, il appartient au médecin de s'assurer que la demande qui lui est faite par le patient ne résulte d'aucune pression de la part d'un tiers.

    Hors les cas où la loi l'impose, un certificat ne peut être remis à un tiers mais doit être remis directement au patient.

    Il n'est pas besoin de préciser que le certificat doit être conforme à la réalité et que la délivrance de faux certificats est pénalement sanctionnée (art. 196 et 204 du Code pénal).

    Conclusion

    Le secret professionnel médical est d'ordre public; il est régi par des règles très strictes, tant sur le plan légal que sur le plan déontologique.

    Son observance s'impose à tous les collaborateurs du médecin.

    Un certain nombre d'exceptions sont autorisées et ont été énumérées. Cependant, elles ne constituent pas la règle. Tant les praticiens de l'art de guérir, que de l'art pharmaceutique, de l'art infirmier et de toutes les autres professions paramédicales doivent faire preuve de prudence dans l'application qu'ils font de ces exceptions; ils doivent être particulièrement attentifs au respect des conditions (destination, nature et contenu de l'information) sous lesquelles ces exceptions sont autorisées et, en cas d'hésitation, consulter les personnes et les textes de référence adéquats afin d'éviter toute erreur.

    Docteur Michel STAROUKINE, Vice-Président, Conseil provincial de l'Ordre des médecins du Brabant d'expression française.

    Avenue de Tervueren 417 - 1150 Bruxelles

    Tel 02 771 24 74 - Fax 02 772 40 61